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  • Photo du rédacteurValérie Gillet

Choisir, c'est renoncer.



Jusqu’à il y a peu, quand on me traitait de « féminazie », de « chienne de garde », de « femme enragée » ou de « sale féministe » et qu’on commentait qu’il n’était pas étonnant que je ne trouve pas d’homme, je rigolais bêtement, me contentant de remarquer sur un ton fataliste « Bah, c’est comme ça, je suis une emmerdeuse, c’est à prendre ou à laisser ». Mais ces dernières années, j’ai compris que ce n’était pas tant moi l’empêcheuse de tourner en rond. Bien plus, c’était souvent moi qui finissais par concilier, négocier, apaiser et composer. Et j'en ai eu marre.


Toute ma vie, j’ai entendu dire de moi que j’étais « difficile », « intello », « madame je sais tout », « peu intéressée par mon apparence mais trop revendicatrice sur mes droits et ma valeur », « chieuse », et autres qualificatifs peu valorisants sur des traits de caractère considérés comme des qualités chez les hommes.

J’en ai eu mes cent kilos.

Ça a commencé par les remarques sur les femmes, leur beauté, leur âge et leur poids.

À force de m’entendre dire que j’étais « trop belle à 18 ans », j’ai arrêté trois minutes de m’affamer pour me poser cette question : « Ai-je envie d’un homme dont la référence esthétique est une femme pas encore adulte dans un corps lisse d’adolescente ? Qu’en sera-t-il dans 10, 20, 30 ans ? À la ménopause ? Quand je n’aurai plus envie d’être appétissante et bien disposée ? »


Sont ensuite venus les commentaires sur ma soi-disant « intelligence handicapante ».

Ai-je envie d’un homme dont l'aune intellectuelle est une femme moins intelligente que lui ? Que dire de la pauvreté intellectuelle du monsieur si je suis une référence en matière « d’intelligence excessive » ? Ne dois-je pas plutôt aspirer à être accompagnée d’un être dont les capacités intellectuelles me stimulent au lieu de m’efforcer de me rendre plus bête et plus arrangeante de crainte de déplaire ?


De là, je me suis interrogée sur l’un de mes plus grands « défauts » : ma tendance à accaparer un temps de parole conséquent dans les conversations.


Je me souviens notamment, dans ma vingtaine, d’un épisode avec mon ex-mari et ses amis colombiens en visite en Belgique. À l’issue d’un dîner bien arrosé, je lui faisais remarquer que ça me frustrait d’être handicapée par mon niveau d’espagnol inférieur à celui des natifs, qui me rendait lente à la détente et m’empêchait de participer pleinement aux conversations. « Tu rigoles ?, avait-il rétorqué en levant les yeux au ciel. On n’entendait que toi ! Je n’ai pas pu en placer une ! »


Ai-je vraiment envie d’un homme qui se sent menacé par mes opinions affirmées et ma tendance à les verbaliser de manière structurée et raisonnée (et un peu volubile) ?


Peu à peu, j’en ai eu également assez des remarques sur mon statut familial, débutant inévitablement par « S’il n’y avait pas ta fille… » ou « Avec ta fille, ça va être compliqué… », débouchant sur des propositions, certes, mais invariablement « no strings attached ».


Non seulement je me suis lassée que les hommes ne veuillent rien construire avec moi, mais j’ai remis le couvert en faisant un autre enfant toute seule. Parce que c’est ce que je voulais et que je pouvais le faire. N’ai-je pas le droit, comme tout être humain, de vivre comme je l’entends ?


Ai-je envie d’un homme qui n’accepte pas que je sois une maman à plein temps, indépendante et responsable ? Quel degré d’immaturité faut-il avoir pour reprocher à une femme trentenaire d’avoir procréé et d’assumer sa progéniture ?


Autrefois, je prenais les remarques sexistes de ces messieurs (et de ces dames, d'ailleurs) avec humour, leur vision réductrice des canons physiques et intellectuels féminins comme une fatalité, leurs badinages et flirtinages un peu lourds avec une pincée de sel, leurs inutiles démonstrations de virilité avec indulgence et leur complexe d’infériorité avec un attendrissement presque maternant.


Aujourd’hui, j’avoue avoir de plus en plus de mal.


Deviendrais-je misandre, comme je me le suis entendu reprocher ?


S’il est évident que je paie le prix fort pour ma liberté et mon affirmation de moi, l’intransigeance me guette peut-être dangereusement.


Ceci dit, je vois mal pourquoi je devrais accepter des comportements au mieux obsolètes et au pire, carrément injurieux, sous prétexte qu’une femme doit s’accommoder des excès et errements de l’autre sexe.


Aucun homme (à part peut-être mon père, mais c’est son job de parent de me supporter) ne m’a jamais fait bénéficier d’un tel traitement de faveur et j’ai toujours, dans mes relations amoureuses et amicales avec la gent masculine, payé chèrement une féminité apparemment trop fluide et complexe et des circonstances de vie trop peu conventionnelles.


On m’a dit et répété qu’à force d’être trop difficile, catégorique, affirmée et intransigeante avec les hommes, je finirais seule.


Il semblerait que ce soit en bonne voie.


Mais dans le fond, ai-je envie de relations humaines où je m’interdis d’être moi-même, où je deviens quelqu’un d’autre pour plaire et pour garder, où je me grime et me mets sous l’éteignoir pour devenir une autre, plus consensuelle, moins « chiante » ?


Dois-je renoncer à ma « merde féministe » pour conserver des « amis » avec qui je ne partage plus rien et qui ne m’apportent que déception et frustration ?


Ou ai-je raison de vivre ma vie en y faisant peu à peu le ménage, histoire de la préparer à de futures rencontres avec des interlocuteurs à mon goût et à ma mesure ?


Dois-je me brader ou me préserver, peut-être en vain et ad vitam aeternam ?


La question est posée. J’ai quelques décennies pour y répondre.

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