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Confiner/ée

Dernière mise à jour : 24 oct. 2021




Au risque de verser dans l’analogie facile, le repli que nous vivons actuellement est ma grande spécialité. En véritable introvertie camouflée, mes vains efforts pour dissimuler l’angoisse de la vie en société n’ont d’égal que mon réflexe d’autoprotection lorsque je me sens menacée dans mon intégrité physique et mentale.


Pleutrerie ou retraite salvatrice ? Une chose est certaine, le réflexe de distanciation n’a aucun secret pour moi. Je déteste serrer les mains et encore plus faire la bise. À l’exception de mes enfants et de mes amoureux, les marques tactiles d’affection suscitent généralement chez moi un mouvement de recul embarrassé.


J’ai toujours été tiraillée entre ma volonté de nouer des liens humains étroits et instinct de survie qui me pousse à me calfeutrer.


Petite déjà, mes parents me surnommaient « Friquette », comme un petit toutou craintif. Chaque nuit, je profitais de leur sommeil pour grimper les escaliers à pas de loup, pénétrer dans leur chambre et me rouler en boule au pied de leur lit. Mon père m’avait interdit de dormir entre eux deux et si j’étais tenue de lui obéir, j’avais déjà un certain talent pour l’interprétation ad litteram des législations domestiques. Or, la chambre de mes parents était le rempart imprenable me protégeant du monde extérieur. M’en voir expulsée m’était insupportable. Je préférais dormir à même le sol.


Je conserve de ces années d’enfance un souvenir confus de comportements étranges qui suscitaient l’hilarité et la consternation dans mon entourage. Si je n’étais pas une enfant particulièrement sombre et ténébreuse, je portais en moi une certaine mélancolie et un monde intérieur envahissant dont je ne suis jamais parvenue à m’émanciper.


Dans mon esprit, des univers infiniment complexes se bâtissaient lentement, patiemment, minutieusement. Des histoires se tissaient, des personnages prenaient vie et des scénarios se jouaient et se rejouaient sans cesse. J’avais beau regarder vers l’extérieur, tout ce qu’il y avait d’intéressant se passait dans mon imaginaire. J’observais, je scrutais, je m’imprégnais, j’absorbais en silence.


Il m’a été très difficile de m’extirper de ce cocon ouaté. À toutes les étapes difficiles de mon existence, j’ai eu le réflexe de m’y réfugier. À chaque déception humaine et amoureuse, j’ai eu la réaction, salvatrice mais peu constructive, de me barricader là où mon esprit peut tout imaginer et où ma bouche peut tout expliquer en silence, sans énervement, émotion, bafouilles et pertes de moyens.


Cette aptitude au confinement intérieur, c’est à la fois ma grande force et une source d'immense solitude. Je survis en me suffisant à moi-même mais cette autarcie physique et mentale me coupe chaque jour un peu plus des autres et tamise jusqu'à l'éteindre toute lueur d’avenir amoureux et de contacts affectifs.


Salvation de ce cœur calfeutré : une demoiselle de douze printemps et un bonhomme de neuf petits mois. En cette période trouble, ils sont confinés avec moi, bien au chaud et en sécurité dans mon cocon. Aucune distanciation sociale entre nous. Ils sont mon prolongement. Une proximité nécessaire et imposée, mais que je goûte un peu trop pleinement, ce qui ne la rend pas forcément très saine et m’inquiète parfois.


Comment expliquer à mes enfants que j’ai bien peur d’avoir eu raison dès le départ ? Qu’il vaut peut-être mieux vivre caché, en retrait, à distance respectable du monde et de ses folies ? Comment leur apprendre à embrasser cette vie avec toutes ses promesses alors que je n’aspire qu’à une seule chose : tisser une chrysalide bien douillette et serrée autour de nous trois, pour les protéger de toutes les errances mortelles et meurtrières à l'extérieur ?


Dans le fond, ce confinement n’est-il pas pour moi un retour aux sources, une révélation sur ma nature profonde et inaltérable : une petite fille craintive et introvertie, qui présente une façade fade sans intérêt, alors qu’elle porte en elle une infinité d’univers merveilleux et tentaculaires, aux ramifications imaginaires vivaces et endémiques.


Une gamine éternellement confinée en son fort intérieur...

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