Si comme tout le monde je rêve à des amours passionnantes et passionnées, le grand avantage de mon célibat prolongé est sans conteste de pouvoir, sans la culpabilité de faire chambre à part avec un compagnon délaissé, dormir seule dans un grand lit. En travers, bras et jambes en étoile, chaussettes de ski aux pieds et hoodie sur le crâne. La promiscuité à plein temps a toujours été compliquée pour la solitaire que je suis. Depuis quelques années, elle est presque devenue inconcevable.
« Je crois que je ne pourrai plus dormir toutes les nuits avec un homme. » Ces mots, je les prononce très spontanément, confortablement assise dans un salon de thé balinais. Une simple constatation.
J’ai 37 ans, et comme bon nombre de trentenaires célibataires, je suis en pleine « recherche de mon moi-même ». Une quête rythmée par les découvertes, les déviations, les espoirs déçus, les digressions, les petites aventures ci et là, les entichements et quelques voyages en solo.
Ma dernière escapade m’a menée à Ubud, bourgade balinaise très prisée des Occidentaux friands d’Asie westernisée. Et ma dernière aventure date de la nuit précédente, que j’ai achevée allongée raide comme un cadavre dans mon grand lit d’hôtel, incapable de m’assoupir à côté d’un charmant (trop) jeune homme qui ronfle un peu bruyamment.
Je dois me rendre à l’évidence : j’ai beau aspirer de toutes mes forces à associer mon destin à celui d’un partenaire de sexe masculin, ça n'a pas l'air de fonctionner. Cela se manifeste le plus indubitablement durant ces épisodes où mon existence défile devant mes yeux écarquillés insomniaques alors que mon compagnon de fortune dort du sommeil du juste à quelques centimètres de moi.
Cela ne date pas d’hier. Mon ex-mari, adepte de la gigue des membres inférieurs pré-endormissement et de l’apnée angoissante, a dû subir durant des années mon agacement et mes éructations. Depuis qu’il en a eu définitivement assez de subir ma mauvaise humeur nocturne (et ma présence diurne, mais c’est une autre histoire) et mes oreillers placés en rang d’oignon au centre du lit pour délimiter l’espace de chacun, je suis plus polie avec mes amants, mais je dors très peu lorsque je ne suis pas seule.
Heureusement pour mon sommeil et malheureusement pour mon cœur d’artichaut, depuis mon divorce, j’ai eu assez rarement l’occasion de devoir « subir » des nuits en couple. J’ai peu de chance en amour, ou plutôt, je choisis mal les objets de mes affections. J'opte généralement pour des messieurs indisponibles et peu impliqués. La romantique éperdue qui sommeille (seule, et donc profondément) en moi espère un jour parvenir à sombrer dans les bras d’un Morphée dont les mouvements, reniflements, sursauts, empiétements et ronflements ne l’insupporteront pas. J’aime à penser que si je n’ai jamais trouvé l’apaisement du corps et de l’esprit allongée en compagnie d’un homme, c’est parce que ceux avec qui j’ai tenté l’expérience n’étaient pas des choix judicieux.
Les apparences sont trompeuses : je verse aisément dans les clichés guimauves. Je suis une éternelle optimiste, qui compte bien mettre sa quarantaine à profit pour éventuellement changer la donne et les règles du jeu amoureux. Peut-être devrais-je consacrer la décennie à venir à trouver un être avec lequel mes heures de sommeil partagées ne seront pas tronquées, car elles seront choisies au lieu d'être imposées. Une romance nocturne à doses homéopathiques serait envisageable.
À condition de pouvoir conserver le hoodie et les chaussettes de ski.
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