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  • Photo du rédacteurValérie Gillet

Ma médiocrité constructive

Dernière mise à jour : 2 juin 2021

L’amélioration de mon moi est erratique et irrégulière. Une progression en dents de scie, parsemée de hiatus interminables et de gouffres profonds. Alors que le monde entier nous serine que si nous ne sommes pas la version la plus idéale de nous-mêmes, nous ne valons rien, j’ai bâti mon existence sur mon imperfection. Et n’est-ce pas dans cette quête de la réalisation irréalisable que je suis à ma place ?



Ces dernières semaines/mois/années, dans nos fils d’actualité, quatre constantes assez antinomiques : 1) Le monde court à sa perte ; 2) On nage dans un océan d’excréments malodorants ; 3) Il ne faut pas se laisser aller ; 4) Notre vie doit être (re)prise en main.


Comme un peu tout le monde, dans un premier temps je me suis dit que la pandémie et les confinements successifs étaient l’occasion de reprendre le chemin du développement personnel et de l’amélioration de soi.


Comme un peu tout le monde également, la tâche m’a semblé incommensurable. Alors, comme à mon habitude, j’ai opté pour la solution « un peu de tout à peu près voire plutôt à moitié enfin presque ». Un peu de cuisine par ci, un peu de yoga par là, des formations à distance, quelques longueurs de brasse, des balades en forêt, l’apprentissage de quelques mots d’une nouvelle langue, un soupçon de diététique, quelques pas de danse quand j'ai pu et de la pleine conscience sans cesse interrompue. Quelques abdos-fessiers, une tentative de grand nettoyage de printemps, quelques murs peints et un montage partiel de deux ou trois meubles Ikea.


Mes vains efforts pour rendre ma crise du corona

et de la quarantaine productive et utile sont inambigus : je suis une éternelle imparfaite inachevée. Pourtant, depuis que l’adolescence m’a dotée d’un esprit tourmenté et d´imperfections aussi flagrantes que la désolation sans fin qu'elles suscitent chez moi, je n’ai de cesse de fantasmer mon moi idéal.


Cette incapacité à reprendre le contrôle et à devenir un « better self » pour vivre ma « best life » me désespère.


À ma grande surprise, ma quarantaine a débarqué, non pas avec son lot d’insécurités supplémentaires sur mon déclin de femme et mon vieillissement inexorable, mais plutôt avec une remise en question de ces tourments intérieurs permanents. La question qui me taraude à présent est la suivante : où réside au juste l’intérêt de la beauté ravageuse, de l’intelligence supérieure, du succès incontestable, de la

jeunesse éternelle et de l’hyper compétence ?


Les jeunes femmes au physique de mannequins, les écrivains qui vendent des millions d’ouvrages, les entrepreneurs à la brillance fulgurante, les yogis contorsionnistes acrobates, les épouses modèles au cœur gros comme ça, les parents qui ne crient jamais sur leurs enfants, les artistes de génie, les athlètes à la musculature tracée, les home cookeurs émérites, les grands intellectuels…


Tous ces gens sont-ils plus heureux que moi, dans le fond ?


Étant touche-à-tout mais ne brillant nulle part, j’ai pu m’essayer à pas mal de choses, avec plus ou moins de réussite. C’est justement mon absence totale de douance dans l’un ou l’autre domaine qui m’a permis d’en explorer tellement. Parfois, j'ai l'impression que mon intention vaut davantage que l'objectif atteint et que ma médiocrité de curieuse dilettante est un appétit salvateur.


La perfection et l'excellence me rendront-elles plus heureuse ?


J'en suis de moins en moins convaincue.


Ne vaut-il pas mieux avoir vécu un peu de tout inachevé et imparfait plutôt que beaucoup d’une seule chose idéale et monotone ?


L'avenir me le dira, pour peu que l'Armageddon que nous promettent les réseaux sociaux depuis une bonne décennie ne nous tombe pas sur le coin de la tronche avant.

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