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  • Photo du rédacteurValérie Gillet

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Quand j'ai fait un burn-out enceinte jusqu'aux yeux, suivi d'un accouchement où j'ai failli mourir puis d'une dépression post-partum dans l'indifférence générale, mon mari de l'époque s'est beaucoup plaint, m'a trompée puis s'est barré du jour au lendemain en me traitant de folle dingue durant les 14 années qui ont suivi.


Seule avec ma gamine de 2 ans, j'ai dû remonter la pente à la force de mes petits poignets de 30 ans, rembourser seule le prêt que nous avions contracté ensemble pour le rachat de la maison de 17 pièces de mes parents, ramener assez d'argent comme traductrice indépendante pour compenser sa désertion soudaine et supporter un véritable enfer relationnel durant de longues années pour que ma fille ait quand même un semblant de père, même défaillant.


Avant cela, je l'avais littéralement porté à bout de bras durant 10 ans, le sortant d'une adolescence où il n'avait fait que de la merde pour stabiliser son tempérament lunatique de fils à papa et jouer les psys, les femmes de ménage, les cuisinières, les infirmières et les amantes attentives durant une décennie. Je l'ai aidé à s'expatrier en Europe et l'ai tracté tant bien que mal au travers d'études supérieures souvent chaotiques pour qu'il ne perde pas son visa étudiant, avant qu'il finisse par trouver un boulot stable et plutôt prometteur et s'installe définitivement en Belgique en se mariant avec moi et en obtenant du bout des lèvres la nationalité belge.


Cela lui a permis de débuter une belle carrière avec les coudées franches. Pendant ce temps, j'ai fait le ménage et la cuisine, donné le sein, soigné des varicelles et des bronchites, géré sa famille se relayant non-stop à demeure dans notre appartement de 100m2 et changé des couches pleines de caca. Et attendu qu'il rentre le soir. Le tout en bossant à mi-temps comme employée et à mi-temps comme indépendante, au terme de 8 années d'études plutôt brillantes de mon côté.


16 ans plus tard, notre fille est presque élevée. Elle réussit bien à l'école, elle est belle et elle est intelligente. Elle est danseuse pré-pro et surtout, sa vision des hommes n'est pas toute pourrie. Elle est dans une relation stable avec un chouette garçon qui ne la traite pas comme sa poubelle ou son exutoire. Elle a vu en cachette de son père les psys qu'elle devait voir, a eu les cours de danse qu'il m'a été possible de lui offrir seule sur mes économies et les dringuelles données par son grand-père maternel pour m'aider, a eu le coaching scolaire qu'elle devait avoir pour apprendre à ne pas se faire retourner comme un pancake pas assez cuit dans l'école élitiste mais pas catho où je l'ai fait entrer sans aide, avis ou intérêt quelconque de son autre parent, a bénéficié des cours particuliers payés de ma poche et a pu se servir de moi comme punching-ball à l'envi quand c'était vraiment compliqué la vie, les parents, les amis, la famille, tout ça. Bref l'adolescence.


Et elle parle même espagnol alors que son parent hispanophone ne le lui parle jamais. Père qu'elle voit d'ailleurs très régulièrement, souvent sur mon insistance.


Elle a un bel avenir devant elle, ma Juliette, et c'est un tour de force, croyez-moi. En plus de toutes les injonctions qu'elles subissent sur la manière de les élever et de ne pas tout gâcher pour eux, on dit aux mères célibataires dont les enfants brillent qu'elles ne doivent surtout pas s'approprier leur succès. Fuck that. Parce que quand ces enfants se plantent ou merdent big time, c'est quand même inévitablement la faute de la mère.


Alors, la réussite de ma fille, c'est la mienne, parce que j'y ai consacré 16 ans de ma vie. Élever un enfant seule, ce n'est pas juste toucher une contribution alimentaire avec des larmes de gratitude dans les yeux et des allocations familiales majorées parce qu'on est cheffe de famille monoparentale et qu'on profite du système. C'est une oeuvre titanesque.


Je me suis toujours excusée de tout auprès d'elle : mon divorce, mon caractère lunatique, mon anxiété, mon tempérament de feu, mes failles, mes défaillances sociales d'HPI précocement hyperresponsabilisée par une mère alcoolique et dépressive et mon incapacité à m'entendre avec son père alors qu'on avait connu une passion fusionnelle durant 10 ans.


Je te jure Juliette que c'est vrai qu'on s'est aimés comme des fous et que tu es le fruit de cet amour, demande à tous ceux qui nous ont connus ensemble, on ne s'est pas toujours détestés, on était meilleurs potes, meilleurs amants et meilleurs tout, avant.


Pourtant, depuis mon burn-out il y a 17 ans, la moindre décision parentale que j'ai prise seule (soit toutes) a été qualifiée par l'autre parent de divagation d'une folle déséquilibrée coupable d'aliénation parentale.


Parce qu'à un moment de ma vie, enceinte avec une tension à 17/12, puis l'utérus lacéré et les seins à vif dormant 2h par nuit, j'ai craqué, j'ai faibli, j'ai lâché prise. J'ai beaucoup trop pleuré et râlé au goût de mon partenaire.


Apparemment, je suis loin d'être la seule à avoir été mise aux ordures d'un jour à l'autre par son compagnon de vie au moindre signe de faiblesse physique ou mentale.


Les hommes plaquent leur gonze quand elles ont un cancer, quand elles font une dépression, quand elles souffrent d'une maladie chronique, quand elles accouchent, quand elles vieillissent, quand elles grossissent, quand elles ont leur ménopause, quand elles ouvrent trop leur bouche ou quand elles ferment trop souvent les cuisses.


En gros, quand elles ne peuvent plus rendre les services gratuits que le patriarcat (vous excuserez l'utilisation de ce gros mot) attend d'elles.


Ce n'est pas moi qui le suce de mon pouce, c'est statistique et surtout assez universel dans toutes les sociétés et générations. Et ça a fait l'objet d'études très sérieuses par des chercheurs très éminents.


Quand ça sent le roussi, les mecs quittent le navire.


Pas tous hein, mais quand même beaucoup.


Ayant moi-même été entourée d'hommes qui ne partent pas, notamment mon père, qui aurait pourtant eu mille raisons de se tirer sans que personne ne lui en tienne rigueur, je ne comprendrai jamais cette lâcheté et surtout, je compte bien élever mon petit garçon pour en faire un homme bienveillant, attentif et aimant, qui prendra soin de celles et ceux qu'il aime et qui respectera ses engagements s'il en prend.


Pardonnez le ranting de vieille féministe divorcée désillusionnée qui a vécu cette merde toute seule sans trop oser s'en plaindre tant elle avait profondément honte de s'être fait jeter parce qu'elle était devenue triste, inutile, instable, laide, grosse, en colère, en souffrance et incapable de garder son mari. Et qui s'est vue reprocher de trop s'en plaindre plus tard, quand elle a compris que ce n'était pas tant que ça de sa faute, dans le fond.


Pardonnez-moi, mais je suis un peu en colère quand je lis tous ces articles sur les pleutres qui abandonnent leur femme en chimio parce qu'elles ne veulent plus faire l'amour ou leur faire des "hand jobs" de dépannage, qui refilent des saloperies à tout le monde à force d'aller tremper leur biscuit partout ou qui se remaquent avec des gamines de 23 ans avec lesquelles ils refont des gosses quand leur épouse est ménopausée, donc bonne à jeter.


Et que je repense à ma propre expérience du haut de mes 44 ans, avec 15 ans de recul et plus de bouteille que la jeune femme qui a laissé tomber toutes ses balles à force de trop bien vouloir jongler sans aucun soutien.


Ça me met même très en colère. Même en rage, tiens.


Mais la rage, c'est aussi du bon carburant pour soulever des montagnes quand on pense ne plus avoir rien d'autre comme ressource en soi.


La rage, ça peut se canaliser et se recycler.


Pour tout dépasser.


Et ça, c'est mon papa qui me l'a appris.


Un homme.


Celui qui n'est pas parti.

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